Il se réveilla, ouvrit les yeux…

La chambre ne lui rappelait rien.
D’ailleurs, à bien y regarder, ce n’était pas une chambre.
Plutôt… quoi ?
Une bibliothèque, une garçonnière ?
Un mixte improbable des deux ?
La seule chose certaine c’est qu’il ne connaissait pas l’endroit.


Il bascula sur le côté, dans l’intention de se lever.
C’est là qu’il se rendit compte qu’il était complètement épuisé, déshydraté, semi-comateux.
Une bonne gueule de bois en fait.
Mais une vraiment bonne, avec trou noir complet sur la soirée.
Qu’elle foutue soirée ça pouvait bien être d’ailleurs…
En se posant la question il prit conscience d’autre chose, un truc qui lui fit autrement plus d’effet que d’ouvrir les yeux dans un lieu inconnu.
Il n’avait pas la moindre idée de qui il était…
S’il avait dû le faire, il aurait bien été obligé d’avouer que, sur le moment, c’était vraiment une sensation bien flippante.
Puis aussitôt il se dit que ne sachant pas qui il était, il y avait peu de chance qu’il ait quoique ce soit à avouer à qui que ce soit.
Puis il se dit que son raisonnement ne voulait rien dire.
Puis il se dit…

Il fallait absolument qu’il boive quelque chose.
Ou mieux encore qu’il fume un truc.
Ça lui remettait toujours les idées en place.
Quoiqu’en parlant d’idées il ne voyait pas vraiment d’où lui venait celle-là.
Il prit son courage à deux mains, autant que cela puisse se faire, et posa les pieds au sol.
Surpris par le contact il baissa les yeux.
Une peau de tigre.
Décidément ça risquait fort d’être une journée intéressante.
Prenant appui sur le lit, et quel lit !, il se leva.
La pièce était spacieuse.
Un peu onduleuse peut-être, mais spacieuse.
Spacieuse ?
Foutrement grande oui !
Il n’avait pas souvenir d’avoir jamais vu une pièce aussi grande.
Bon, vu l’état actuel de ses souvenirs, ça ne voulait pas dire grand-chose.
Mais quand même.
À peine debout tous les tambours du Bronx tapant à plein régime lui martelèrent le crâne.
Il chancela. Le coup était rude.
Il n’avait jamais vraiment apprécié ce genre de sonorité.
Mais au moins ça lui permettait de retrouver quelques certitudes.
Enfin pas des certitudes, mais… comment dire…
Il laissa tomber l’affaire.
Pas de stress.
Sur sa droite tout le mur était composé d’étagères remplies de bouquins et d’objets divers dont les trois quarts ne lui évoquaient que des contrées lointaines.
Ou quelque chose du genre.
Il s’en approcha, relevant au passage quelques titres.
« Le bal des folles »..
Ah ça, ça lui disait… un film qu’il avait vu avec… comment il s’appelait déjà cet acteur ?
« Où vont les fils », ouais c’est sûr, on peut se poser la question…
« Un cheval dans la tête », ah celui-là il lui parlait fort, au triple galop même.
Il se demanda si en lire quelques lignes lui permettrait de se débarrasser de celui qui lui martelait le crâne.
Mais l’effort lui parut titanesque.
D’abord fumer un peu la moquette, s’il y avait de quoi faire dans l’endroit.
Ce dont il était quasi certain.
Au pire un peu d’alcool pour se charger la mule lui conviendrait tout aussi bien.
Et si vraiment rien de tout ça n’était possible il n’éliminait pas la solution extrême de fumer un peu de poils de tigre.
Mais bon, tout se présentait au mieux, n’était-ce pas un bar qu’il voyait là-bas, au loin…
La traversée risquait d’être un peu lente et aléatoire, mais sa motivation était forte.
Il risqua un pas.
Du moins il avança un pied.
Il était grand temps, encore une seconde ou deux et il basculait en avant.
Et le voilà parti dans une sorte de déambulation semi-acrobatique, ou l’appel de la gravité combattait violemment sa volonté farouche…
Et il en avait besoin de cette volonté pour ne pas se vautrer méchamment comme une bouse d’éléphant diarrhéique.
Mais ses efforts n’étaient pas vain.
Peu à peu le bar approchait, ou peut-être approchait-il du bar.
Ça restait assez flou.
Et qu’est-ce que ça pouvait bien faire.
L’important en l’occurrence c’est que le bar soit bien achalandé.
C’était le cas.
Rhum, gin, whisky, tapioca ?
Valium, Tranxene, yaourts…
Une pure merveille de bar, un oasis dans le désert et Dieu sait, ce con, s’il avait soif !
Et ça bon sang de bonsoir !
C’est t’y pas du tout bon libanais ?
Mais oui Madame, ça m’en a tout l’air.
Mais c’est le paradis cette piaule !
Bon un peu d’organisation.
D’abord s’en rouler un gros à trois feuilles, pas de souci y’a tout le matos.
Aaaah, rien que l’idée et ça va déjà mieux.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Comme un rat…
Non c’est pas ça qu’on dit, on dit raide comme un passe-lacet, complètement stone.
Et pierre qui roule n’amasse pas mousse.
Ah oui une petite mousse avant d’attaquer l’apéro.
Chouette idée.
Ah punaise ! Cerise sur le gâteux, non mince, sur le gâteau, de la Corona, ma préférée.
Enfin depuis que j’ai voté Chirac, avant je buvais pas de bière.
Mais je mangeais des pommes.

Tout allait nettement mieux.
Il ne savait pas encore qui il était.
Pas plus qu’il ne savait ce qu’il pouvait avoir fait de sa soirée pour se réveiller là.
Mais pas d’inquiétude, tout ça allait lui revenir maintenant…

Dans une pièce insonorisée de l’autre côté du mur, des hommes sanglés dans des costumes aux allures martiales dessinés par le couturier personnel de l’autocrate, penchés sur leurs écrans, prenaient des notes…

Si vous souhaitez laisser un commentaire (constructif, s’entend !), c’est juste dessous :


2855 Views

Boulou, un pote de Bubulle
Partagez si vous aimez...