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Chambre 44

La lune éclaire à peine la chambre.
Sa lumière palote atteint tout juste le bout du lit.
C’est suffisant pour accrocher une petite lueur sur le cuir de ma botte.
Je joue avec.
Bougeant le pied pour la faire apparaître puis disparaître tour à tour.
Elle me rappelle le reflet sur le cercueil.


Malgré le temps couvert, l’enterrement a eu droit à son éclaircie.
Une minute, deux peut-être.
Le temps d’une lueur sur le bois vernis.
Je ne sais pas pourquoi cette image s’est gravée sur ma rétine.
Dès que je ferme les yeux elle s’imprime sur mes paupières.
Je ne vais pas pouvoir dormir.
Je descends au bar.
À cette heure il n’y a personne.
Ça n’a rien d’étonnant.
Qui pourrait souhaiter passer son weekend ici.
L’hôtel n’est pas si mal, plutôt bien même pour la ville.
Mais quand même.
Les gars du coin doivent connaître quelques endroits plus sympa pour passer la soirée.
Pas de problème, j’aime autant être seul.
Ce n’est pas le barman qui m’incommodera.
Il est de nouveau captivé par la télé qui bourdonne derrière le comptoir.
Il marmonne un peu, et lâche parfois un bref éclat de rire.
Installé au bout de la salle je les entends à peine.
Je me suis assis dans le recoin le plus sombre et je regarde par la fenêtre.
Les lueurs encore.
Toute cette histoire a à voir avec les lueurs.
Avec cet hôtel.
Avec les lueurs de cet hôtel.
Les lueurs de cet hôtel ?
D’où me vient cette idée ?
Cette obsession des lueurs.
C’est cet éclat sur le cercueil de Jack.
Une lueur.
Un éclat.
Un clin d’œil.
L’œil de Jack.
Dans cet hôtel.
Il y a quinze ans, vingt peut-être.
Non, plus que ça.
Je devrais m’en souvenir.
Je dois m’en souvenir d’une façon ou d’une autre.
Sinon pourquoi j’aurais choisi cet hôtel.
Il y en a trois, rien que dans cette rue.
Alors pourquoi celui-là.
Sur le moment je n’y ai pas fait attention, mais en descendant du taxi je n’ai pas cherché.
Je suis venu direct ici.
D’ailleurs l’adresse donné au taxi était bonne.
Bon OK, mais à quoi tout ça m’amène.
Cet hôtel, l’œil de Jack, les lueurs de l’un et de l’autre.
Je tourne en rond, comme le whisky dans mon verre.
Avec sa lueur.
Je le bois en deux gorgées et en recommande un autre aussitôt.
Il faut pour ça que je me déplace, le barman est toujours scotché devant sa télé.
En fait je prends une demie bouteille et je remonte dans ma chambre.
La 44.
Magnum aurait dit Jack.
La lune a complètement disparu.
Noyée dans la brume.
Plus de lueur.
Peut-être que maintenant je vais pouvoir dormir.
Quelques heures.
Demain je dois reprendre la route.
Tôt.
Moins je trainerais ici, mieux ce sera.
Je n’aurais pas dû venir.
À quoi bon.
Jack s’en serait bien foutu de toute façon.
En fait il s’en fout bien, il est mort.
Est-ce qu’il a vu une lueur.
Ouais, celle du flingue qui l’a descendu…
Une lueur dans la nuit.
La dernière pour le coup.
Le coup de feu.
Merde j’aurais pas dû finir la bouteille…

Dès les premières lueurs de l’aube je me réveillais en sursaut.
La gueule en capilotade.
Le crâne explosé par les coups de boutoir.
Ce n’était pas une journée à voir une lueur.
Et pourtant.
Je savais.

Tout m’était revenu….

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Image par Ed Zilch de Pixabay

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